LA GALERIE DES LOCATAIRES [ 1972 - .... ]
La Galerie des locataires est une attitude. Elle se manifeste là où elle décide d’être. Elle n’a pas de murs. Ni de décrets. Elle n’est pas impossible. Sa raison d’être : l’artiste est celui auquel on donne l’occasion de l’être. Elle est l’espace mental, la pensée mise en action d’une historienne d’art. Poser les questions est un acte politique : l’homme en tant que penseur critique, alerte, n’est pas l’objet manipulable dont rêve le pouvoir. Celui-ci distille les exigences sécuritaires pour inculquer la peur à l’homme, cet être devenu délicat, fragile : la peur bloque son libre arbitre. Il commande les mass média et les finances, et aimerait qu’on pense moins et achète plus. Tout en critiquant le système défaillant, avec la démagogie des machiavels, il essaye de repartir… Mais pour quelle destination ? Jamais le destin humain sur cette planète n’a paru aussi aléatoire, sa place parmi les autres espèces végétales, animales, minérales, les éléments physiques ou spirituels, mise en question aussi explicitement…A se poser la question s’il n’y aurait-il pas une loi naturelle, que même lui l’homo sapiens ne pourrait transgresser et qui peut-être aujourd’hui se dresse tel un mur devant lui ? Bien sûr ce mur, comme tous les murs, l’homme peut le réduire en poussière. Mais la poussière qui se propagerait de ce mur là, peut-être n’est pas de la nature des autres… Alors que plusieurs chemins, autoroutes et virtualités s’esquissent, nourries par les réalités complexes, un certain chantage intellectuel pointe le consensus pour le sauvetage prioritaire d’un système à bout de souffle.
Les artistes en tant que personnes agissant dans le domaine de l’activité humaine lié à la création, donc à l’exploration et l’expression des libertés individuelles, mais aussi « à l’écoute du monde » toujours en mouvement, celui qu’ils partagent avec les autres, pourraient alors, représenter ou véhiculer au sein de la société une certaine vigilance, être « sensibles » à son devenir et le leur.
L’éthique de comportement et le dépassement d’une esthétique de salon (1) proclamés par les artistes dont les travaux étaient très critiques sur le milieu de l’art, les institutions, le marché de l’art ; avec la présence d’un questionnement constant au sujet de leur place dans ce système, mais aussi de la nature et de la manipulation de leur production par celui-ci, se trouvent avec le temps pris dans le piège des consensus plus ou moins élaborés. Il est vrai que certains continuent d’être dans la vigilance, mais dans la pléthore et la cacophonie générale des événements, la mégalomanie de la société du spectacle, de l’avoir et non de l’être, ces voix ne sont que les références, mal approfondies, pratiquées, peu audibles et visibles. A un moment donné il était artistiquement nuisible d’évoquer l’engagement des artistes et les travaux,presque tous, sont redevenus les œuvres(2). Alors,la Galerie des locataires a suspendu ses activités et proclamé la grève contre les artistes en 1976. Celle-ci a duré jusqu’en 1981. Depuis elle propose quelques actions aux artistes sous forme de lecture de projets, d’escapades, de voyages: Exposition radiophonique / France-Culture /,Taxis avant minuit, Simplon Express, L’air du large, Ailleurs, Battre en retraite et le Débarquement sur l’île de Molat.
Depuis aussi, par exemple,l’artiste Zarko Vijatovic a proposé la signature d’un contrat avec la Galerie des locataires en 1989 qui lui interdisait pendant trois ans d’exposer autre chose que le texte de l’interdit. Le groupe TO a proposé à la Galerie des locataires en 1993 pour trois ans, et depuis 1996 un contrat à durée indéterminée pour qu’elle conçoit et exécute ou pas, à leur place, les projets aux endroits et avec les moyens de son choix, sans aucune contrainte.
Pourtant il est impossible de se décharger du poids d’une abdication qu’on pourrait reprocher à cette génération, tiraillée entre les idéologies post-communistes et néo-libérales, bercée par les mirages liés aux fantômes du progrès, aux nouvelles technologies ? Celles qui nous offrent des vies artificielles par écrans interposées, sans l’altérité, dans une société sous perfusion, mal à l’aise, où les institutions culturelles deviennent elles mêmes les labels qui se vendent et s’achètent avec les œuvres et les artistes qu’elles s’approprient, aux quatre coins du monde, en cela semblables aux supermarchés d’une hyper économie de consommation mondialisée, et on sait pas comment, mais encore subjuguée par le reflet de son image conquérante, démocratique ?
La vie est dure. Avec cette phrase qu’un ami m’a adressée ces jours-ci, je déambule parmi les épisodes de ma vie (3). Et aperçois encore les fuyantes des possibles bifurcations non empruntées, ne correspondant pas au reconnaissable fonctionnement consensuel du système établi. La vie est dure (4) surtout pour
ceux qui aspirent à garder, à augmenter, leur confort matériel : se reconnaissant tels les clones d’une image de publicité, destinateurs d’une félicité inexistante.
Nous avons commencé par mettre en question d’abord cela, en décrétant par exemple que l’œuvre d’art est devenue un travail, que les murs des galeries, des musées sont à remplacer par les murs, les autres, les murs des postes ou des gares, des lieux hors du système : les étals des marchés, les lieux de vie.
Nous y sommes allés. Nous avons même organisé des expositions qui n’ont jamais existées que dans la pensée pour essayer de nous extraire du système. Eh bien de tout cela - les traces sont là. Elles n’ont pas été – les promesses. Je les considère comme des graines semées dans un champ. (5)
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(1)- En tout cas les réalisations de la Galerie des locataires témoignent des possibilités pour une activité libre même à l’intérieur des rapports dictés d’une manière stricte, car définis et dépendants du marché ; ces rapports n’ont pas seulement d’impacts négatifs dans le domaine culturel ; d’une manière globale ils créent le schéma de la vie en tant qu’acte de consommation dans lequel l’homme et sa création sont par essence – aliénés. « Konceptualna umetnost », Misko Suvakovic, Muzej suvremene umetnosti Vojvodine, Novi Sad, 2007.
(2)- L’évolution postérieure du système appliquée au domaine de l’art par les galeries, les musées, ainsi que les énoncés théoriques des critiques d’art, n’ont pas menés vers la démocratisation de l’art, mais vers une institutionnalisation plus oppressante, la mise en place de plus en plus complexe du travail critique des conservateurs en faveur d’une pratique de domination grâce à l’approche bureaucratique et l’utilisation de l’artiste à des fins politico-économiques. Tout cela dans l’intérêt des galeries, musées, fondations… Voilà pourquoi l’activité d’Ida Biard est une ultime critique utopique du système qui gère le domaine artistique. Idem (1).
(3)- Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition.
(4)- Le monde n’est qu’une branloire pérenne…La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant. « Essais », Chapitre II., Du repentir, 1595, Michel de Montaigne Idem (3).
(5) (…) Aujourd'hui, tout est à repenser. Tout est à recommencer. Tout en fait a recommencé, mais sans qu'on le sache. Nous en sommes au stade de commencements, modestes, invisibles, marginaux, dispersés. Car il existe déjà, sur tous les continents, un bouillonnement créatif, une multitude d'initiatives locales, dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou de la réforme de vie. Ces initiatives ne se connaissent pas les unes les autres, nulle administration ne les dénombre, nul parti n'en prend connaissance. Mais elles sont le vivier du futur. Il s'agit de les reconnaître, de les recenser, de les collationner, de les répertorier, et de les conjuguer en une pluralité de chemins réformateurs. Ce sont ces voies multiples qui pourront, en se développant conjointement, se conjuguer pour former la voie nouvelle, laquelle nous mènerait vers l'encore invisible et inconcevable métamorphose. Pour élaborer les voies qui se rejoindront dans la voie, il nous faut nous dégager d'alternatives bornées, auxquelles nous contraint le monde de connaissance et de pensée hégémoniques. Ainsi il faut à la fois mondialiser et démondialiser, croître et décroître, développer et envelopper.Edgar Morin, Eloge de la métamorphose, Le Monde, 10.01.2010.
LES ACTIVITES DE LA GALERIE DES LOCATAIRES
1972
Goran Trbuljak, novembre/décembre, 14 rue de l'Avre, Paris.
Documents sur les jeunes artistes en Yougoslavie.
1973
Pierre Hubert, 14 rue de l'Avre, Paris.
Daniel Buren, « Transparence recto-verso » Galerie des Locataires, French Window, 14 rue de l'Avre, Paris.
Cadéré, l'exposition du n°1 au n°7 de l'avenue des Gobelins, mars, Paris.
Envoi d'Annette Messager, 14 rue de l'Avre, Paris.
Bernard Borgeaud, projection du film 16mm « Actes sensibles », 14 rue de l'Avre, Paris.
Jonier Marin, Situation Panama, installation sur le trottoir devant 14 rue de l'Avre, Paris.
Alain Fleischer, projection « Volets clos » de la fenêtre de la Galerie des locataires sur la fenêtre de l'immeuble en face, 14 rue de l'Avre, Paris.
Charles le Bouil, La cérémonie, Canal St Martin, Paris.
Giverne, Les fumées colorées, 14 rue de l'Avre, Paris.
Poste restante Zagreb: Jan Dibbets, Jonier Marin, Maurice Roquet.
Poste restante Dusseldorf: Christian Boltanski, Radomir Damnjan, Klaus Groh, Annette Messager, Goran Trbuljak.
Poste restante Paris: Artiste Anonyme, Bernard Borgeaud, Robin Crozier, Jean Roualdès, Predrag Sidjanin, Jiri Valoch.
Poste restante Milan: Didier Bay, Bernard Borgeaud, Robin Crozier, Jean Roualdès, Goran Trbuljak, Jiri Valoch.
Hessie, place de Duomo, Milan.
Cadéré, l'exposition lors du vernissage d'Adami à la Galerie Maeght, 13 rue de Téhéran, Paris.
Cadéré, présentation d'un texte à la Galerie des étudiants et dans les rues à Belgrade.
1974
Chez Suzanne Denis-Hebert, Montréal: Klaus Groh, Jonier Marin, Annette Messager.
Annette Messager: Les travaux de la salle de bain, La lecture quotidienne, Les courses d'Annette Messager, 3 rue Paul Fort, Paris.
Goran Trbuljak: L'espace neutre, l'espace de la Galerie des locataires, métro Pyrenées, Paris.
Projection des travaux sous forme de diapositives au cinéma Balkan à Zagreb, pendant le programme publicitaire: Christian Boltanski, Bernard Borgeaud, Radomir Damnjan, Alain Fleischer, Vladimir Gudac, Hessie, Sanja Ivekovic, Miroslav Klivar, Sinisa Knaflec, Dalibor Martinis, Annette Messager, Maurice Roquet, Sarkis, Goran Trbuljak.
Chez Angels Ribe et Frances Torres à New York: Antoni Muntadas, Mike Crane, Jerry Saltz, Phil Berkman, Ponsati, Jean Roualdès, Miroslav Klivar, Klaus Groh, Martine Abbaléa, Sarkis, Balint Szombathy, Jozef Markulik, Jonier Marin, Annette Messager, Nikola Stojanovic, Françoise Sullivan, Allan Bally, Angels Ribbe, Alice Aycock, Francesco Torres, Zoran Popovic, Jacques Charlier, Alain Fleischer, Terry Berkowitz, Pierre Hubert.
Invitation de la Galerie des locataires à la manifestation artistique de Malerwochen à Graz avec deux projets:
- Nina Kujundzic « Une personne qui voudrait devenir l'artiste ».
- Vladimir Gudac « Que pouvez vous faire avec 3000 schillings? » question posée aux artistes participants ainsi qu'aux habitants de Graz.
Projections de films de Fernando de Filippi et de Christian Boltanski dans le café l'Aquarelle, rue de Seine, Paris.
Renato Mambor, enquête autour d'un objet, Marché aux puces, Porte de Vanves, Paris.
Balint Szombathy, action Paris/Subotica, Subotica /Paris.
Proposition de la participation au fonctionnement de la Biennale de Paris /1975/ de la Galerie des locataires est refusée par celle-ci.
Daniel Buren, installation in situ, Budapest.
1975
Alain Fleischer, Sandor Fleischer correspondance détournée Paris/Budapest/Paris.
Sarkis, « 1914 - 1974 » exécution du travail pendant 12 mois, 1974/1975.
Invitation de la Galerie des locataires par la Galerie Richard Demarco à Edimburgh, lors de l'exposition « Aspects 75, art en Yougoslavie » : assistante de la galerie pendant l'exposition.
Proposition et signature avec les artistes du Contrat moral.
1976
La Galerie des locataires est en grève à partir du 7 mars 1976 pour exprimer son désaccord avec le comportement des artistes/dits contestataires et d'avant-garde dans le système actuel du marché de l'art. La grève se termine en décembre 1980.
1982
Bernard Borgeaud, Alain Fleischer, Jean Roualdès, exposition radiophonique, France-Culture, Paris.
1986
Invitation de la Galerie des locataires à la Galerie d'art contemporain de Zagreb: lecture du conte »La fillette aux allumettes » d’Andersen par une fillette qui apprend à lire.
Zarko Vijatovic , Travaux sur commande.
1987
« Taxis avant minuit », Christian Boltanski, Daniel Buren, Alain Fleischer, Paul-Armand Gette, Pierre et Gilles, Annette Messager, Sarkis, Nicole Stenger, Edward Suzanna, Danka Vijatovic Sosic.Grand Palais, Paris. Collaboration CNAP, DRAC Paris Ile de France.
1988/1989
« Simplon Express », Christian Boltanski, Bernard Borgeaud, Daniel Buren, André Cadéré, Alain Fleischer, Nina Kujundzic, Annette Messager, Sarkis, Goran Trbuljak, Zarko Vijatovic, Radomir Damnjan, Philippe Cazal. Collaboration Ministère de la Culture, AFAA, Centre Culturel français Milan, Zagreb, Académie du cinéma et du théâtre de Zagreb, CNC, Galerija suvremene umjetnosti Zagreb. Production d'une vidéo et d'un catalogue.
Contrat avec Zarko Vijatovic.
1993/1994
Réalisation de la vidéo « Ailleurs », voyage d'une cafetière au Japon, selon les scénarii de: Marina Abramovic, Dunja Blazevic, Sonia Biard, Philippe Cazal, Braco Dimitrijevic, Jacqueline Dauriac, Alain Fleischer, Antonio Gallego, Sarkis, Groupe TO. Coproduction le Fresnoy, CICV, Centre d'Art Mobile.
1995
Proposition de la réalisation du projet vidéo « L'air du large » avec des contributions de Jean-Pierre Bertrand, Alain Fleischer, Thierry Kuntzel, Michael Snow, Groupe TO, Goran Trbuljak. Coproduction le Fresnoy, Centre d'Art Mobile. Projection à Venise 7, 8 et 9 juin 1995, dans un bateau aménagé en salle de projection entre Zattere et Casino-Lido.
2006
Proposition « Battre en retraite » et « Le débarquement » sur l’île de Molat, réactivation des archives de la Galerie des locataires.
2007/2009
Travail sur les archives : résidence avec Géraldine Longueville et Pierre Leguillon au CNEAI, Chatou.
Réactivation du projet de Cadéré exécuté en 1974 à Belgrade - l’invitation du Hou Hanru lors de l’exposition « La force de l’art », Grand Palais, Paris.